Toute ma vie j’ai été une femme
Deux femmes sur scène. Duo drôle et drôle de duo sur un sujet sérieux, sur la question de l’identité féminine face à la société de consommation. L’une interrogative, l’autre affirmative. L’une se confrontant, l’autre se conformant. Enflammées et décalées…
Texte de Leslie Kaplan
Mise en scène de Marie-Christine Bras
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Au Théâtre des Déchargeurs, Paris
Du 6 au 24 mai 2014
Avec Émilie Alfieri, Aude Maireau
Tout au long de la pièce, le personnage principal et sa « petite voix intérieure » se renvoient la balle, entre réflexion et humour, mettant en relief avec justesse des problématiques très actuelles : l’angoisse et la fascination pour le corps, la différence des sexes, et tentent de définir à leur façon comment « être femme » aujourd’hui.
Une pensée mise en dialogue, celle d’une femme tiraillée et agacée, à force d’être exposée aux messages de la « société du bonheur », face à son double inversé, ou son démon hérité de l’histoire du sexe féminin – une adepte du Moulinex…
Qui aura les derniers mots/maux ?
Et les hommes ? Si l’auteure parle de la femme, elle n’en exclue pas pour autant les hommes. Très loin d’un discours féministe, la pièce parle également de nos chers et tendres. D’intimité, de sexualité, de fantasme et de désir, du « regard de l’autre », du rapport à l’autre, du désir de plaire, de place et d’identité masculine.
Un dialogue dans le dialogue est alors inséré, lorsque qu’Alain apparaît (brillamment incarné par Émilie Alfieri) et raconte sa quête d’une compagne à travers une longue série d’aventures amoureuses… Lui aussi se pose énormément de questions.
Le texte de cette pièce poétiquement engagée de Leslie Kaplan évite les pièges de la facilité et des clichés. Au delà de la question d’être femme, sont abordés la place et le rôle de l’être humain dans une société consumériste et soumise aux diktats de la perfection, ne sachant pas ou plus comment vivre face à un imaginaire collectif pressurisant. La réflexion prend le pas sur l’humour.
Les comédiennes, notamment Émilie Alfieri, animent avec talent et sincérité cette pensée complexe. La mise en scène fait déambuler les actrices dans un petit appartement : on devine un espace cuisine, la garde-robe dans la chambre… Ce lieu intimiste invite le spectateur à devenir un troisième interlocuteur, à entrer dans cet endroit de dialogue et de confrontation de points de vue.
Le texte, notamment à la fin de la pièce, aurait mérité une mise en scène plus développée, afin de gagner en compréhension et d’éviter une fin quelque peu abrupte.
Ce qui ne nous empêche pas d’intercepter le fin mot de l’histoire : l’appel à construire de toute urgence notre propre existence, avec mais aussi contre le monde, et à devenir celle à laquelle ni personne, ni nous-même, ne s’attendait…
De ces échanges, se dégage un « essentiel » : à la fois une profonde humanité et une urgence pour ces femmes à dire, à raconter, à se dire, à se raconter… Comme si ces personnages se décomposaient sous nos yeux pour mieux se recomposer, dans une quête identitaire permanente. À l’image de ce titre, « Toute ma vie j’ai été une femme » nous surprend, nous intrigue et incite à plonger dans la multiplicité de l’ « être femme ».
Marie-Christine Bras