Dance
Peu de chorégraphies, dans l’histoire de la danse contemporaine, connaissent la postérité. Dès les années 70, les artistes, refusant l’héritage du passé, se vouent à la création et au présent. Encore aujourd’hui, à peine a-t-il vu le jour qu’un spectacle a déjà perdu de sa valeur le lendemain d’une première… Dance de Lucinda Childs, créée en 1979, reste l’une des rares exceptions. Et c’est avec émotion cet après-midi que j’ai pu admirer sur le plateau cette chorégraphie mythique.
Chorégraphie de Lucinda Childs (1979)
Musique de Philip Glass
Film de Sol LeWitt
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Du 17 au 25 octobre 2014
Au Théâtre de la Ville, Paris
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Grande figure de la danse abstraite américaine, Lucinda Childs est l’auteur d’une pièce-monstre, intemporelle, magique : Dance. Chorégraphié en 1979 pour dix-sept danseurs, sur une musique de Philip Glass, ce spectacle historique est conçu autour d’une course répétitive qui semble ne jamais devoir s’arrêter, typique de Lucinda Childs. Déboulant des coulisses pour mieux y retourner, les interprètes enclenchent des boucles de mouvements bondissants et tourbillonnants. Un fantasme de mouvement perpétuel qui exige une perfection rythmique de la part des danseurs. A voir et revoir et encore !
Rosita Boisseau

Dance de Lucinda Childs
Entretien avec Lucinda Childs – propos recueillis par Gilles Amalvi.
La pièce Dance a été créée en 1979, en collaboration avec deux artistes majeurs du courant minimaliste : Philip Glass et Sol LeWitt. D’où est venu le désir de la remonter ?
Au départ, c’était dans un souci de conservation, lié à la fragilité du film de Sol LeWitt. Ce film a été tourné en 35 mm, en noir et blanc, et il n’était plus utilisable car il était endommagé. Il risquait de se perdre. Du coup, cette reprise a été l’occasion d’en faire une version digitale et de le restaurer. Le spectacle peut maintenant être monté avec une qualité visuelle et sonore beaucoup plus grande. Cette reprise de Dance a été lancée il y a cinq ans maintenant, en 2009, et petit à petit, de plus en plus de gens ont voulu la voir – beaucoup de gens qui ne l’avaient pas vue à l’époque – donc elle continue à tourner. C’est comme une seconde vie.
Un des aspects qui fait la spécificité de Dance est le film de Sol LeWitt, qui prolonge la danse en projetant des doubles des danseurs. Comment cette idée s’est-elle imposée ?
C’est Philip Glass qui m’a proposé cette collaboration avec Sol LeWitt. Je connaissais son travail, mais je ne le connaissais pas personnellement. Nous sommes allés le voir et nous lui avons demandé si cela l’intéresserait de se charger de la scénographie. Pendant quelques mois, nous avons échangé nos idées, avant d’aboutir à l’idée que le décor, c’étaient les danseurs. Sol LeWitt n’avait aucune envie de réaliser une scénographie qui n’aurait rien à voir avec rien. Il m’a dit : « Ce que tu fais est vraiment visuel, abstrait, il faut qu’on ne voie que les danseurs ». Du coup, il a plutôt travaillé à amplifier cette vision, à l’élargir. C’est aussi dans ce sens que la pièce s’appelle Dance : parce que ce n’est que ça.
Comment avez-vous collaboré tous les trois ?
Petit à petit, les choses se sont assemblées : d’abord la musique, ensuite la chorégraphie, et puis à partir de là, Sol LeWitt a fait un story-board pour le film. Grâce à ce story-board, il serait possible de refaire exactement le même film avec d’autres danseurs. Par exemple, nous aurions pu le refaire avec les danseurs qui dansent actuellement – mais nous avons choisi de conserver le film original.
La musique est donc venue en premier. Comment avez-vous composé la structure chorégraphique en résonance avec elle ?
Le rapport avec la musique n’est pas le résultat d’un collage – comme c’était le cas dans les chorégraphies de Merce Cunningham – mais d’une structure très précise. Pour moi, la danse et la musique sont vraiment en dialogue, les danseurs savent toujours où ils en sont… C’est du coup une pièce assez exigeante, qui demande une grande précision rythmique et une bonne mémoire. Il a fallu environ cinq ou six semaines pour transmettre la chorégraphie au nouveau groupe de danseurs. La danse forme un courant continu de corps traversant la scène… comme la musique : c’est un flux, on a envie de s’y glisser, d’être à l’intérieur d’elle. J’aime profondément cette musique. Et c’est vraiment elle qui a impulsé la composition chorégraphique.