« Le Client », clé de lecture de la société iranienne
À la façon d’un semi-documentaire, Ashghar Farhadi capture la vie de jeunes adultes qui représentent la classe moyenne éclairée de Téhéran, évoluant dans un cadre urbain moderne semi-détruit, où tout est à reconstruire. Un drame vient secouer leur quotidien et les confronte à des choix cornéliens.
Le Client
Un long-métrage d’Ashgar Farhardi
Sortie en salles en France le 9 novembre 2016
Prix d’interprétation masculine et prix du scénario au Festival de Cannes 2016.
L’argument.
Forcés de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux, Emad et Rana, – professeurs de jour, comédiens le soir – emménagent dans un nouveau logement. Un accident en rapport avec l’ancienne locataire bouleverse la vie du jeune couple : Rana est agressée « sexuellement », sans que le film ne dévoile les détails de l’agression physique. Jouant « Mort d’un commis voyageur » d’Arthur Miller à la scène, ils basculent en protagonistes de leur propre drame familial.

© Habib Majidi
Huis-clos et choix cornéliens.
Tandis qu’Emad souhaite porter plainte, Rana veut garder le silence, honteuse et se sentant en partie responsable de ce qu’il lui est arrivé. La tension psychologique monte entre les deux conjoints, dans un appartement sali, angoissant et peu propice au refuge. Seule l’apparition d’une tierce personne, l’enfant d’une de leurs amies qui reste un soir dîner avec eux, désamorce quelque peu l’atmosphère – image projetée de l’enfant qu’ils aimeraient avoir un jour. Mais ce projet de fonder une famille est fugitif, car le désir s’empare d’Emad de retrouver le coupable. Entre Emad métamorphosé, saisi de l’instinct conservateur de surprotéger et de venger l’honneur de son épouse, et Rana, partisane d’humanité et du pardon, le fossé se creuse : deux positions, deux générations, se confrontent, avec un risque imminent de rupture.
Enquête, censure et engrenage.
Le théâtre, comme gage de la modernité d’Emad, Rana et leur entourage, émaille le film. La menace du Ministère de la culture et de l’orientation islamique d’arrêter les représentations plane sur la petite troupe. Parallèlement, Emad s’éloigne en se plongeant dans une enquête qui a des airs de « À chacun sa vérité » de Pirandello : à la recherche du coupable, il suit plusieurs pistes, tourne en rond, rencontre plusieurs témoins, récolte différents avis, se heurte au discours et aux réactions complexes de Rana.
Des clés, il y en a partout chez Farhardi : les clés de deux appartements, les clés d’une camionnette, des portes qui s’ouvrent constamment comme pour mieux battre le rythme du passage constant entre intérieur et extérieur, intimité et apparence, foyer et société, vie de famille et vie publique, secrets et vérités.
La censure, l’hypocrisie des uns, la violence des autres donnent à voir dans cette fable de quoi est encore agitée la société iranienne. Même les plus éclairés, comme les comédiens, comme Emad, appartiennent à un système conservateur dont il est difficile de s’émanciper. Seule la figure féminine de Rana – la plus offensée dans cette histoire, réussit à s’échapper des rouages de ce système.