Les Palmiers Sauvages
Histoire d’une passion, d’après le texte de William Faulkner. La comédienne et pianiste Séverine Chavrier a choisi de construire sa mise en scène en musique pour mieux raconter ce récit d’amour, de bruit et de fureur.
D’après le texte de William Faulkner
Mise en scène et musique de Séverine Chavrier
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Au Nouveau théâtre de Montreuil
Du 1er au 12 décembre 2014
Avec Laurent Papot, Deborah Rouach.

Visuel du spectacle Les Palmiers Sauvages
Les lignes suivantes sont inspirées du programme de salle distribué au Nouveau théâtre de Montreuil et de la note d’intention de Séverine Chavrier à propos du spectacle.
Histoire faulknérienne.
Harry est interne dans un hôpital. Charlotte est mariée à un autre et mère de famille… Tombés fous amoureux, ils quittent tout et prennent la route pour vivre ensemble. En manque d’argent, ils vadrouillent, bohèmes, sans jamais poser leurs valises, vivotant de la vente de sculptures et de dessins. En tête à tête. Avec entre eux, l’amour absolu… Peu à peu, l’été, la nature capiteuse, la mer (non loin) et le bruit du vent dans les palmes les transforment en Adam et Ève. Cette dernière prend alors les rênes du couple, avec la foi d’amoureuse chevillée au corps.
Mais si à force d’être face à face et non côté à côte on finissait par ne plus se voir ? Si à trop aimer l’amour on finissait par ne plus aimer l’autre ? Derrière le désir que révèlent les gestes et les mots des amants, il y a aussi une sorte de tristesse contenue dans toute histoire d’amour.
Imaginée par Faulkner, à la fin des années 1930, cette fugue d’amants adultères pourrait n’être qu’une romance à l’eau de rose : le célèbre écrivain américain lui insuffle l’intensité et la profondeur du mythe. On retrouve les questions chères à Faulkner : la relation à soi et à autrui, au même et à l’étranger, et ses personnages qui s’imposent par leur puissance humaine.
Vie de bohème.
Le voyage des amants et leur proximité avec la nature, comme un retour à l’origine des choses, sont puissamment rendus sur le plateau par la présence et la sensualité des éléments. Le va-et-vient de la mer qui rafraîchit l’atmosphère moite de l’été, le bercement des palmiers par la brise sont perceptibles par une bande-son soignée comme par la projection d’une vidéo en fond. Au fur et à mesure que l’on approche de l’hiver, les éléments s’agitent, le vent se lève, plus fort, l’air se fige, devient glacial, inonde le plateau sous la forme d’une brume qui enveloppe et fait grelotter les protagonistes.
Les éléments matériels et domestiques interviennent également pour signifier l’évolution de la relation. Ils sont simples, bruts, comme pour mieux signifier la pauvreté des amants. Le métal : les boîtes de conserve – d’abord soigneusement rangées, finissent par joncher le sol, les lits à ressorts sont de moins en moins utilisés, le bois pour les meubles sommaires, le tissu pour les draps, vêtements et couettes. L’habitacle est un cocon fragile pendant l’hiver : les corps sont drapés, enroulés de vêtements et de couvertures, maigres protections qui ne perdent pas de leur dénuement.
Descente aux enfers.
Le noir et blanc de la vidéo diffusée en fond d’écran défile comme de vieux souvenirs. Tandis que Charlotte agonise, se raconte en fait en flash-back l’histoire d’amour, un trajet de la vie de bohème au cabanon de plage isolé, un trajet de la vie à la mort. On a beaucoup écrit, Deleuze notamment, sur la prescience de la circulation, du trajet dans la littérature américaine, comme si « l’âme ne s’accomplissait qu’en prenant la route ». Ici c’est une descente aux enfers, une précarité qui gagne, une sauvagerie, celle de la nature, du corps engrossé qui prend le dessus : un trajet qui, de libératoire à l’origine, finit par la mort (de Charlotte) et l’enfermement (de Harry).
Les lumières tout en jeux de nuances accompagnent cette fin : elles sont fortes et aveuglantes pour la rencontre et les premières scènes d’amour, s’affaiblissent en clair/obscur pour les soirées d’hiver éclairées à la bougies – lorsque que l’ennui frappe à la porte et s’installe, que le couple se délite et que la fin approche, se colorent de sang lors de la scène finale et mortelle de l’avortement.
Entre sons et silences : quelle parole ?
Faulkner a toujours travaillé d’une façon très particulière avec le son ; on pense notamment aux cris de Benjy pendant toute la première partie dans Le Bruit et la Fureur. Ici, ce sont les cris ou les rires de Charlotte, ponctués de silences, puis le piano en sourdine et le bruit du vent qui claque dans les palmiers du bord de mer… Dans cette écoute du vent, ce silence des éléments, les personnages sont aux prises avec des paroles de conscience et de pressentiment : monologue, ressassement, obsession jusqu’à la sourde rage que produit la faillite ou l’impuissance. Prises de conscience offertes à tous et à toutes, à un instant donné : Faulkner propose à tous ses personnages cette possibilité d’être un instant voyant, lucide, écrivain.
Parallèlement aux jeux sonores, la mise en lumière concrétise ces prises de conscience.
Portrait de l’artiste en jeune femme.
On assiste à une curieuse inversion des rôles tout au long de la pièce. Harry, le jeune étudiant néophyte en amour, se fait homme à travers sa passion jusqu’à accepter la responsabilité d’être père. À l’inverse, Charlotte rejette sa vie de femme, mère et épouse et vit à travers sa relation avec Harry le retour à l’insouciance, se consacre à de menues activités artistiques, devient petit à petit femme-enfant. Elle refuse de porter un nouvel enfant sous prétexte que cela tuerait leur histoire d’amour et force Harry à la faire avorter.
En dehors d’appartenir à la galerie de personnages féminins particulièrement fascinants de Faulkner, Charlotte se présente aussi comme une artiste. Il y a dans Les Palmiers Sauvages une évocation satirique de la bohème artistique, telle que l’avait fréquentée Faulkner pendant ses séjours à la Nouvelle-Orléans. Harry, lui, devient un auteur commercial d’histoires pornographiques.
À travers ces deux figures, Faulkner exorcise quelque chose de sa propre pratique artistique. Mais que cherche-t-il à énoncer, à dénoncer dans cette sorte de bilan introspectif et rétrospectif ? Qu’une histoire d’amour vécue comme une œuvre d’art, construite, malaxée, préservée comme le travail de création est une entreprise solitaire vouée à l’échec ? Et dans le même mouvement, que le prix à payer pour créer est l’inverse d’une vie artistique, mais bien celle d’un fermier exilé en résidence dans son domaine.
La mise en scène de ce travail créateur, habité par des crises (chez Charlotte), mercantile mais disciplinée (pour Harry) devra répondre à cette question plus vaste qui engage nos pratiques : que peut-on montrer du travail artistique en dehors de son résultat final, quels signes peut-on partager sans rentrer dans un pâle fantasme d’inspiration ou de discipline, qu’est-ce qu’un plateau peut en dire ?