13 septembre 2015 Théâtre

« Battlefield », l’inlassable théâtre politique de Peter Brook

Trente ans après son « Mahabharata », Peter Brook crée « Battlefield ». S’inspirant à nouveau du poème sacré de l’Inde, le metteur en scène anglais continue, du haut de ses 90 ans, d’inciter le public à la réflexion face à la guerre et aux massacres qui perdurent dans le monde.

Battlefield
D’après le Mahabharata et la pièce de Jean-Claude Carrière
Adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Du 15 septembre au 17 octobre 2015

Répétition de "Battlefield" de Peter Brook aux Bouffes du Nord (de gauche à droite, Sean O'Callaghan, Ery Nzaramba, Carole Karemera, Jared McNeill), le 31 août 2015. © Bertrand Guay / AFP

Répétition de Battlefield de Peter Brook aux Bouffes du Nord (de gauche à droite, Sean O’Callaghan, Ery Nzaramba, Carole Karemera, Jared McNeill), le 31 août 2015. © Bertrand Guay / AFP

Le Mahabharata et Peter Brook
Avant que Peter Brook ne se saisisse du Mahabharata, jouée en 1985 au festival d’Avignon, puis adaptée en mini-série télévisée en 1989, personne n’en connaissant même le nom. Trente ans après sa version légendaire en neuf heures de l’épopée indienne du Mahabharata, Peter Brook revient vers le texte sacré, non pas pour en faire une version revisitée, mais au contraire pour en extraire le message principal en réponse à ses préoccupations actuelles : une réflexion sur les conséquences de la violence mondialisée à l’heure où celle-ci prend une ampleur effrayante, et un appel à la responsabilité des dirigeants.

Battlefield
La pièce commence à la fin de la guerre exterminatrice qui a décimé des millions de guerriers. Cette guerre est née d’un conflit familial – l’opposition acharnée des cent frères Kauravas, dirigés par leur frère ainé Duryodhana, contre leurs cinq cousins les Pandavas, dirigés par leur frère ainé Yudishtira.
Les cent frères sont morts. Yudishtira a gagné. Mais comment régner ? Comment trouver la paix quand le champ de bataille est jonché de tous ces morts ? Comment vivre le remords qui ne cesse de vous ronger ? C’est le destin de Yudishtira. Il devra l’accepter et y répondre.

Battlefield © Simon Annand

Battlefield © Simon Annand

Une mise en scène épurée pour une lecture universelle
La sobriété du décor reflète la volonté de simplicité du message et contribue à la portée universelle du texte. Les accessoires sont polyvalents et multiplie efficacement les personnages : une étole devient une cape ou figure un ver de terre, deux poufs de couleur sombre sont les seules assises de quatre comédiens. Une fable nous est narrée et sollicite notre imagination, notre écoute.
La beauté et la force des interprètes : Carole Karemera, Jared McNeill, Ery Nzarambaet, Sean O’Callaghan et la présence constante du percussionniste Toshi Tsuchitori qui accompagne le récit en rythme ou lui donne la mesure, nous ensorcèlent. Le texte indien est porté par trois acteurs à la peau couleur ébène, un autre blanc comme neige, et un musicien aux traits asiatiques : sur scène, l’abolition des frontières traduit l’universalisation de la fable, la volonté d’un message accessible à tous.

Le théâtre de Peter Brook donne à penser. C’est la possibilité, pendant une heure ou deux, dans un lieu de concentration, de rentrer dans une expérience collective, partagée, pour que chacun sorte nourri de sa propre réflexion. C’est une aventure qui dépasse le simple divertissement, qui donne accès à la spiritualité. Quand on regarde les informations, on est en colère, plein de dégoût, furieux, devant la violence des faits ; au théâtre, on peut prendre du recul face aux faits filtrés par une mise en scène mesurée, et sortir plus confiant, plus courageux.

Le Mahabharata est une épopée, avec des héros et des dieux, des animaux fabuleux. En même temps, l’œuvre est intime. C’est-à-dire que les personnages sont vulnérables, pleins de contradictions, totalement humains.
Le Mahabharata n’est pas seulement un livre, ou une série de livres, c’est un champ immense, qui couvre tous les aspects de notre existence. On y trouve les questions essentielles qui concernent notre vie, des questions qui sont à la fois contemporaines et urgentes.
Le Mahabharata a été écrit il y a des milliers d’années, et pourtant il nous indique toujours, d’une manière inattendue, comment ouvrir nos yeux à ce que la réalité de nos vies demande.
Peter Brook.

 

© 2023 Caro dans le métro - Création : Kroox, agence conseil Marketing, Creative & Digital