« Umwelt », le tourbillon du quotidien selon Maguy Marin
Le Festival d’Automne continue de nous gâter en programmant une autre chorégraphie mythique : « Umwelt » – « environnement » en allemand, créée en 2004, par la française Maguy Marin. Un tourbillon de personnages happés par les gestes du quotidien investit la scène jusqu’à donner une vision étourdissante de nos habitudes les plus ordinaires et de leurs conséquences.
Umwelt
Chorégraphie de Maguy Marin (2004)
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Au Théâtre de la Ville, Paris
Du 4 au 8 décembre 2015
Mais aussi à l’Apostrophe, Théâtre des Louvrais, Pontoise, le 11 décembre
Au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale, le 9 janvier 2016
Puzzle de vie.
Sur une musique de Denis Mariotte, un orage métallique déclenché à partir du dispositif de deux bobines de part et d’autre de la scène qui font défiler un fil passant entre les cordes de trois guitares, Umwelt met en scène des rangées de miroirs rectangulaires composant un labyrinthe. Neuf danseurs, changeant de costumes et de rôles au quart de tour, apparaissent et disparaissent entre ces plaques métalliques, constituant une chaîne humaine ininterrompue. Un homme fume une cigarette, un autre prend son café, une femme se promène avec son bébé, certains s’habillent pour aller au travail, d’autres se lavent les dents… Les habits et accessoires utilisés peuvent représenter différentes communautés et parties du monde. Ces vignettes de quelques secondes, véritables instantanés de vie, surgissent au fur et à mesure pour former un tout, comme les pièces assemblées d’un puzzle.

Umwelt de Maguy Marin © Grappe
Vanité de la routine.
Le tempo mathématique et régulier des pas des danseurs, la répétition des saynètes, donnent une dimension quasiment automatique aux faits et gestes des personnages. Tandis que la tempête fait rage, que le vent souffle et fait trembler le décor, la scène se jonche au fur et à mesure d’objets et détritus jetés par les personnages : terre, os, vêtements… Comme si ces personnages étaient sourds au vacarme sonore les environnant, qui ne les empêche pas de continuer leur manège terriblement vain de routines, qui ne leur donne pas non plus la possibilité d’entendre ni de voir clair. Leur course quotidienne ne semble pas avoir d’issue et s’arrête seulement avec le fil déroulé par les bobines, c’est-à-dire avec la fin du concert tonitruant créé par le dispositif.

Umwelt de Maguy Marin © Timothy A. Clary / AFP
Fable philosophique et écologique.
La répétition des scènes peut lasser, le tapage sonore également. Beaucoup de spectateurs ne le supportent pas et certains sortent au bout d’une demi-heure de spectacle. C’est peut-être exactement ce que Maguy Marin veut provoquer dans le public : une réaction de rejet face à cette vision de l’humain enfermé dans son quotidien, incapable de s’arrêter pour mieux voir et entendre, incapable de réaliser les conséquences de ses gestes sur l’environnement. La chorégraphe interpelle la conscience collective, la responsabilité partagée.

Umwelt de Maguy Marin © Andrea Mohin / The New York Times
Il s’agit là d’une sacrée performance rythmique en collectif maîtrisée par tous sur le plateau : difficile exercice de mémoire pour les danseurs qui interprètent un flux constant de vignettes de vie, mécanique incroyable des accessoires qui nécessite une entraide entre les interprètes en coulisses, habile dispositif musical. Avec Umwelt, Maguy Marin persiste dans sa veine de chorégraphe-philosophe, taillant dans la réalité un répertoire d’images simples mais signifiantes, interrogeant l’humain dans ses moindres gestes.