25 octobre 2021 Arts / Musiques

Quand la peinture inspire la musique : Moussorgski, Stravinski ou Debussy…

La passerelle des émotions entre les arts est souvent empruntée par les artistes. Beaucoup de peintres ont été inspirés par la littérature ou la poésie, comme Zao Wu-Ki, ou par la musique, comme Chagall ; et la littérature a inspiré nombre de musiciens tels Berlioz ou Tchaïkovski.

Mais les cas de peinture, s’entend une œuvre peinte précise, ayant inspiré une œuvre musicale en particulier, sont beaucoup moins fréquents. Cette chronique propose cinq œuvres picturales dont on sait qu’elles auraient inspiré cinq œuvres musicales.

1. Du Retable d’Issenheim (1512-1516) de Mathis Grünewald (1450-1528) à la symphonie Mathis le Peintre (1934) de Paul Hindemith (1895-1963)

La célébrité reste attachée à Mathis Nithard Gothardt, dit Grünewald, dont l’œuvre majeure est le Retable d’Issenheim conservé au musée de Colmar. Deux grands panneaux et six plus petits représentent des épisodes de la vie du Christ, de la Vierge et des Saints, surtout Saint-Antoine. On est avec cette peinture aux origines de l’expressionisme allemand, cherchant à bouleverser le spectateur par des images frappantes : les plaies, l’agonie, les démons. Les couleurs sont variées, intenses, pas forcément réalistes, mais d’un fort effet visuel. On peut voir aussi du même auteur Le Christ aux outrages, à l’ancienne pinacothèque de Munich.

Retable d’Issenheim, La Tentation de Saint-Antoine © Mathis Grünewald

Le compositeur Paul Hindemith s’inspire de ce retable pour composer l’opéra Mathis le peintre (1932-1935) qui est très peu joué. En revanche, en 1934, il en tire une symphonie du même nom qui deviendra célèbre. Cette symphonie est en trois mouvements dont les titres sont inspirés par trois des panneaux du retable. Tout d’abord Le Concert d’anges, correspondant au panneau Adoration des anges, dont l’introduction tranquille est une mélodie populaire allemande entendue dans le prélude de l’opéra. Le concert va s’animer, le glockenspiel s’en mêler et le mouvement s’achever fortissimo dans la joie. Puis vient un mouvement lent méditatif illustrant la Mise au tombeau. Le troisième mouvement est grandiose et illustre La Tentation de Saint-Antoine, sa folle chevauchée, les tortures qui lui sont infligées, pour finalement marquer la victoire de la foi avec un Alleluia tout en fanfares.

Voilà une excellente occasion de mieux connaître un compositeur réputé austère dans une de ses meilleures productions.

2. Les Fresques de Piero della Francesca H.352 (1955) par Bohuslav Martinu (1890-1959)

Piero della Francesca (1416-1492) était un peintre du Quattrocento italien dont le chef-d’œuvre serait une série de fresques sur la légende de Sainte-Croix à San Francesco d’Arezzo en Toscane. Excellent dessinateur, il s’est attaché à travailler la lumière et la perspective, tout en faisant ressortir soit le caractère solennel des scènes, soit l’humanité des personnages.

Arrivée de la reine de Saba © Piero della Francesca

Le compositeur tchèque Bohuslav Martinu eut l’occasion de voir les originaux des fresques de Piero della Francesca dans l’église San Francesco d’Arezzo et en fut enthousiasmé, frappé par son pouvoir suggestif. Sa composition éponyme, dont il précise qu’il ne s’agit pas de musique strictement descriptive, est en trois parties : un Andante poco moderato pour exprimer le calme et l’atmosphère à la fois recueillie et colorée d’un Groupe de femmes avec la reine de Saba ; puis un Adagio inspiré du Rêve de Constantin où une mélodie mélancolique est jouée par le cor anglais ; enfin un Poco Allegro très joyeux, traduisant selon ses dires, une impression générale de ces fresques qui lui ont procuré des émotions auxquelles il ne s’attendait pas.

Cette composition a été dédiée au chef d’orchestre tchèque Rafael Kubelik, qui l’a fait entendre partout dans le monde. C’est également une œuvre idéale pour découvrir un musicien à la prodigalité sonore et à la fécondité comparables à celles d’Hindemith.

3. Des tableaux de Viktor Hartmann (1834-1873) aux Tableaux d’une exposition (1847) de Modeste Moussorgski (1839-1881)

Viktor Hartmann, aquarelliste, décorateur de théâtre et architecte, était un ami de Moussorgski avec qui il œuvrait en faveur de l’art russe. Il meurt brutalement en 1873, à l’âge de 39 ans. En son hommage, et avec l’aide du journaliste et critique d’art Vladimir Stassov – le guide littéraire et esthétique du puissant petit groupe des Cinq qui réunit Borodine, Cui, Balakirev, Moussorgski et Rimski-Korsakov, est organisée à Saint-Pétersbourg, de février à mars 1874, une exposition de ses œuvres : environ 400 semble-t-il, pour beaucoup des dessins, tableaux et aquarelles réalisés lors d’un voyage de huit ans à l’étranger.  

© Viktor Hartmann

Modeste Moussorgski s’y rend et son émotion est telle qu’il compose pour le piano ses Tableaux d’une exposition courant juin 1874. Il les dédiera à Stassov dans une lettre du 12 juin 1874 qui décrit aussi son agitation créative :

« Hartmann bouillonne comme bouillonnait Boris. Les sons et les idées musicales m’arrivent tout rôtis, comme des pigeons. J’en avale et j’en avale, au point d’en avoir une véritable indigestion. J’ai à peine le temps d’écrire tout cela sur du papier à musique. J’en suis déjà au numéro quatre. Les transitions sont bonnes : des « promenades ». Mon propre visage apparaîtra dans ces interludes. Jusqu’à présent tout cela me semble assez réussi. Je vous embrasse et je sais que vous me donnez votre bénédiction ».

En fait, comme on va le voir, il y a un doute sur le nombre exact de tableaux de cette exposition qui ont impressionné Moussorgski. Trois tableaux seulement ont existé avec certitude ; trois autres que nous reproduisons ici auraient fait partie de l’exposition selon des musicologues du début du XXe siècle ; les autres ont sans doute été « créés » grâce à l’imagination puissante et suggestive de Moussorgski, peut-être aussi à partir d’esquisses ou de dessins vus ailleurs que dans cette exposition.

L’œuvre musicale propose dix mouvements et six interludes qui sont les promenades reflétant, comme le dit Moussorgski, ses émotions alors qu’il déambulait dans l’exposition d’un tableau à l’autre. Suivons le guide.

La visite commence par le thème de la Promenade, en si bémol majeur, une marche assez bonhomme, mais décidée « Senza allegreza, ma poco sostenuto », comme le pouvait-être le pas du compositeur. Le premier tableau Gnomus, gnome que l’on imagine difforme et assez pitoyable, aurait été inspiré par l’esquisse d’un dessin de jouet de Noël, un nain aux jambes tordues en forme de casse-noisette ! Ce dessin a été perdu. La musique évoque sa danse sautillante et ses grimaces, mais finalement bien aussi tragique que comique. La Promenade revient, un ton plus bas, « Piano », convenant à un visiteur pensif.

Le deuxième tableau, Il Vecchio Castello, sort sans doute entièrement de l’imagination de Moussorgski, car Hartmann n’a jamais dessiné ni vieux château médiéval ni troubadour, du moins n’en figurent aucun dans le catalogue de l’exposition. Il avait en revanche croqué en Italie des palais princiers du XVIIème siècle. Stassov a affirmé se souvenir d’un dessin de la sorte, avec sur le devant un troubadour jouant du luth. Toujours est-il que Moussorgski compose complètement autour de ce souvenir et nous donne une mélodie magnifique indiquée « très chantante, tristement » sur fond de basse obstinée. Maurice Ravel, dans son orchestration de 1922, confiera le chant du troubadour au saxophone alto. La Promenade revient, après que le chant se soit brusquement interrompu. « Forte » et « Pesamente », mais très courte.

Pour le troisième tableau, Tuileries : des enfants se disputent après les jeux, soit on se réfère à un souvenir de France, un dessin d’Hartmann d’une partie des Tuileries – mais la scène sur ce dessin est déserte, et les enfants ont dû naître de l’imagination du compositeur ; soit là encore, c’est un souvenir de Stassov qui aura inspiré Moussorgski, « une allée du jardin des Tuileries avec beaucoup d’enfants et leurs gouvernantes ». Le morceau est indiqué « Capriccioso ».

Le quatrième tableau succède sans interlude : c’est Bydlo. Moussorgski le nomme plus précisément « le bétail à Sandomir ». C’est Stassov qui commente : « Un chariot polonais sur d’énormes roues, tirée par des bœufs ». Aucune trace d’un tel souvenir d’Hartmann, ni dans le catalogue de l’exposition, ni dans le récapitulatif post mortem de ses œuvres. Moussorgski nous compose une fresque haute en couleur, l’énorme chariot et ses bœufs qui dévalent et emportent tout sur leur passage ; le rythme à deux temps « Pesante » illustre bien l’attelage, tandis qu’une mélodie slave en mode mineur se détache au-dessus : c’est le cocher qui chantonne, mais tristement car Moussorgski n’oublie jamais de caractériser la condition sociale de ses personnages. Stassov a supposé que cet air avait été emprunté au tailleur qui habitait l’immeuble de son ami et qu’il entendait souvent chanter. La Promenade revient, « Piano », en mode mineur, comme pour montrer que l’humeur du visiteur s’est assombrie, mais brièvement.

Le cinquième tableau, Ballet des poussins dans leurs coques, a, lui, bien précisément existé. Cette scène faisait partie du ballet Trilby du musicien russe Jules Herbert, chorégraphié par Marius Petipa pour le Bolchoï, et Hartmann en avait dessiné les costumes. Stassov raconte que cet épisode montrait des enfants d’une école de théâtre déguisés en canaris, certains représentés dans des œufs, et qui couraient dans tous les sens. Ce que le compositeur a indiqué « Scherzino : vivo, leggiero ».

Le sixième tableau succède sans interlude : c’est Samuel Goldenberg et Schmuyle. Moussorgski se serait inspiré de deux esquisses que lui avait offertes Hartmann. C’est Stassov qui a proposé le titre « Deux juifs polonais, un riche et un pauvre ». Le compositeur en a imaginé tout le reste et une conversation haute en couleur. Le premier est un juif riche, arrogant et méprisant, autoritaire et sa mélodie dans le grave est doublée à l’octave ; le second, un juif pauvre, répond dans l’aigu de façon suppliante et pitoyable. Ravel dans son orchestration confie le discours répétitif de ce dernier à la trompette dont il met à l’épreuve l’endurance. On a l’impression que le premier met fin brutalement à la conversation. La Promenade revient, dans sa tonalité initiale, similaire à la Promenade initiale – serait-ce la raison pour laquelle Ravel l’a supprimée de sa version orchestrale ?

Samuel Goldenberg et Schmuyle © Viktor Hartmann

Puis vient « Attaca » le septième tableau, Place du marché à Limoges. On suppose qu’il a été inspiré au compositeur par une esquisse au crayon de femmes et de vieillards bohémiens vus de profil. Mais était-ce bien à Limoges sur la place du marché ? Hartmann avait séjourné dans cette ville lors de son voyage en France. Car ce tableau n’a jamais précisément existé ou a disparu.

Le huitième tableau succède sans interlude : c’est Catacombes. Il est probable que Moussorgski ait été inspiré par un tableau sur lequel Hartmann se représente lui-même, avec un ami architecte, en train de visiter les catacombes de Paris. On voit le guide chargé d’éclairer les visiteurs et sur la droite des crânes bien rangés. Musicalement, deux parties s’enchaînent : « Sepulchrum Romanum » qui est un « Largo » avec une succession d’accords en points d’orgue forts et doux, comme un écho dans un souterrain, et « Cum mortis in lingua mortua » où comme le suggère Stassov, Moussorgski et Hartmann communiquent, poétiquement parlant, au moment où s’élève en si mineur, « Andante non troppo, con lamento », le thème de la Promenade, pour la sixième et dernière fois.

Catacombes © Viktor Hartmann

Le neuvième tableau, Baba-Yaga ou La cabane sur des pattes de poule, a bien existé. Le dessin d’Hartmann figure une horloge ancienne en bois (ou en bronze ?) et en forme d’isba, sur des pattes de poule, qu’il appelle « La maison de Baba Yaga ». Mais Moussorgski y rajoute sa fantaisie et met en scène Baba-Yaga, sorcière folle et méchante des contes russes, qui habite une maison sans porte ni fenêtre reposant sur quatre énormes pattes de poule. La musique est suggestive à souhait, indiquée « Allegro con brio, feroce ».

Puis sans transition, c’est le dixième et dernier tableau, La grande porte de Kiev. Troisième tableau de cette exposition à nous être indiscutablement resté, il s’agit d’une ébauche de projet d’un concours architectural pour les portes de la ville ukrainienne. On voit une tour au clocher en bulbe et des portes décorées en forme de coiffe féminine traditionnelle. Le style du tableau évoque la Russie ancienne. La réalisation musicale va bien au-delà de ce qui est représenté. Moussorgski a indiqué : « Maestoso. Con grandezza ». Et c’est grandiose comme la fin d’un opéra, avec les percussions et les cloches, ne manquent que les chœurs. Le thème est proche de celui de la Promenade, qui finit par apparaître clairement, comme pour parfaire l’unité de l’œuvre.

La version originale pour piano suffit au bonheur de la visite. Moussorgski était un pianiste hors pair, capable de tout jouer, comme beaucoup de compositeurs. On a ensuite orchestré ou arrangé cette œuvre. Et ce n’est pas inconvenant pour Moussorgski, au contraire à mon sens, c’est très honorant pour son génie musical, dans une œuvre aux ressources infinies qu’une version pour piano seul ne pourrait pas épuiser. Il existe plus d’une vingtaine de versions pour grand orchestre de cette œuvre et pas loin d’une centaine d’arrangements pour divers instruments : deux pianos, orgue, guitare, fanfare, cuivres, ensemble de jazz, groupe de rock progressif, synthétiseur, etc. C’est Maurice Ravel en 1922 qui en a réalisé l’orchestration à la demande du chef d’orchestre Serge Koussevitzky. C’est la version la plus merveilleuse… et la plus jouée.

4. De A Rake’s Progress (1732-1735) de William Hogarth (1697-1764) à l’opéra The Rake’s Progress (1948-1951) d’Igor Stravinski (1882-1971)

En 1947, visitant le Art Institute of Chicago, Igor Stravinski est attiré par une série de huit gravures réalisées par le peintre William Hogarth : A Rake’s Progress (La Carrière d’un débauché). Entre 1948 et 1951, il se sert de cet argument pour écrire un opéra, du même nom. C’est un opéra en trois actes et un épilogue qui raconte la déchéance inéluctable d’un jeune libertin paresseux qui dilapide dans les plaisirs et les jeux une fortune récemment héritée, pour terminer son existence dans un asile de fous.

La première gravure montre le personnage principal, Tom Rakewell, qui a bénéficié d’un héritage, mais qui délaisse sa fiancée, Anne Trulove. La seconde, Le lever du roué, pastiche le lever du Roi, montrant que Tom se complait dans le luxe. Le titre de la troisième, Orgie, suffit à la décrire ; c’est sans doute la plus connue. La quatrième, L’arrêt, montre Tom dans une chaise à porteurs qui rencontre Anne, son ancienne fiancée. On retrouve Anne dans la cinquième figure qui assiste au mariage de Tom avec une femme extravagante. La maison de jeux et La prison sont les titres de la sixième et de la septième gravure ; Tom a beaucoup joué, beaucoup perdu, et endetté, se retrouve en prison. La huitième et dernière gravure montre Tom à l’asile de fous qui expire dans les bras de Anne.

The Rake’s Progress © William Hogarth

Le compositeur a été séduit par ce sujet qu’il jugeait moderne tout en étant plongé dans l’atmosphère du XVIIIe siècle. Son ami l’écrivain Aldous Huxley l’adresse au poète Wystan Hugh Auden qui écrira le livret en collaboration avec Chester Simon Kallman. Ces derniers vont proposer de modifier l’histoire assez fortement en adjoignant à notre libertin un valet maléfique, Nick Shadow, avec qui il passera un marché, tout à fait dans l’esprit du mythe faustien. Le scénario est donc beaucoup plus complexe que ne le laisse suggérer les gravures. Stravinsky a écrit une musique très plaisante, dans une veine que les musicologues ont appelé « néoclassique » et qu’il pratiquait depuis une trentaine d’années, avec Pulcinella, ses trois symphonies (Pour instruments à vent, Psaumes et En trois mouvements) ou encore Orphée. Créée en 1951 à la Fenice de Venise, ce devait être sa dernière œuvre dans ce style de composition. Une mise en scène astucieuse, enlevée, et faisant écho à l’humour de la partition garantit au spectateur de passer un excellent moment.

On constate donc que la « contemplation » d’une peinture par un musicien suivie de son inspiration à composer n’a pas de cheminement univoque. La symphonie Mathis le Peintre et les Fresques de Piero della Francesca, sans être purement descriptives comportent surtout une part d’impression directe de l’œuvre, liée à ce qui a été vu. C’est vrai aussi pour Moussorgski après avoir vu les tableaux d’Hartmann, en particulier ceux que nous pouvons encore voir et où l’aspect descriptif de la musique est évident ; mais se rajoute chez Moussorgski une capacité imaginative incroyable autour de ce qu’il a vu. La démarche créatrice de Stravinsky est encore autre : il tire un argument d’opéra d’une série de gravures dont la signification lui a plu ; il complique l’histoire, et tout en illustrant quelques détails des tableaux, il s’attache à rester dans l’esprit de l’œuvre initiale.

5. De La Grande Vague de Kanagawa (1830-1833) de Katsushika Hokusai (1765-1849), ou de William Turner (1775-1851), à La Mer (1903-1905) de Claude Debussy (1862-1918)

Le dernier pont peinture/musique que nous proposons dans cette chronique n’a pas de point de départ indiscutable : Claude Debussy, quand il écrit La Mer, n’a jamais dit si une peinture ou une gravure l’avait très précisément inspiré. Toutefois Debussy avouait « aimer les images presque autant que la musique » et il avait envisagé de faire une carrière de peintre. D’ailleurs il sous-titre son chef d’œuvre Trois esquisses symphoniques, comme s’il ébauchait trois tableaux dont les titres seront De l’aube à midi sur la mer, Jeux de vagues et Dialogue du vent et de la mer. Debussy aimait passionnément la mer et son inspiration vient de bien plus profond que l’émotion suscitée par une peinture ou une gravure vue dans un musée. De l’avis de ceux qui le connaissaient bien, elle sous-tendait toute sa façon de vivre. Et puis c’était un admirateur de grands peintres de son temps, certains impressionnistes, leur précurseur Turner, mais aussi Whistler, surtout lorsqu’ils mettaient en scène l’eau et les éléments. On a pu avancer que La Mer avait été inspirée par La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai. Mais ce serait très réducteur, limité au second mouvement. Debussy appréciait cet artiste, comme d’ailleurs la culture japonaise, et il avait dans son cabinet de travail une reproduction de cette estampe sur bois ; nul doute qu’il la contemplait à souhait ; et c’est cette gravure qu’il demanda à son éditeur de placer en page de couverture de la partition.

La Grande Vague de Kanagawa © Katsushika Hokusai

Tout aussi inspirante à mon sens est l’admiration de Debussy pour William Turner, « le plus beau créateur de mystère en art » confiait-il. Il se rend à Londres au printemps 1903 pour voir les œuvres du peintre à la National Gallery. Il confiera au pianiste Ricardo Viñes en juillet 1903 avoir composé ses Estampes pour piano « après avoir passé un long moment dans la salle des Turner ». C’est justement durant cet été 1903 que Debussy commence à composer La Mer. Pure coïncidence ? Pour l’illustrer, nous reproduisons un tableau de Turner de 1835 que Debussy n’aura sans doute pas manqué d’admirer !

Vagues se brisant contre le vent © William Turner

Plusieurs « spécialistes » mettent en garde concernant l’irrationalité des rapports entre les différentes formes artistiques, et la vanité de toutes les discussions qui en découlent. Certes. Mais dans cette chronique, il s’agit simplement de faire des rapprochements dont le fondement historique est avéré, permettant de découvrir ou de redécouvrir des œuvres musicales, pour certaines peu connues, et de donner envie de les écouter. Car connaissant mieux leur genèse, on peut être amené à mieux les apprécier.


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