Les sculptures d’Eva Jospin subliment le Musée de la Chasse et de la Nature
Au cœur du quartier du Marais, logé dans deux hôtels mitoyens classés monuments historiques, le Musée de la Chasse et de la Nature, magnifiquement restauré, constitue un écrin architectural fascinant qui transporte immédiatement dans un autre espace-temps. Depuis la rue, la façade laisse à peine deviner toute la beauté et l’originalité du projet artistique camouflé. Le passant qui n’y a encore jamais pénétré aurait tort de se priver d’une telle visite.
« Galleria » d’Eva Jospin
Du 16 novembre 2021 au 20 mars 2022
Musée de la Chasse et de la Nature, Paris
Le Musée de la Chasse et de la Nature, un écrin méconnu
Le Musée est né en 1967 à l’initiative de la Fondation François Sommer pour la Chasse et la Nature. À travers lui, la Fondation œuvre à la construction d’un dialogue apaisé entre tous les utilisateurs de la nature, chasseurs et non-chasseurs, dans une conception humaniste de l’écologie et en faveur de l’utilisation durable des ressources naturelles.

Exercice délicat que de convaincre les défenseurs des animaux et autres partisans de la non-violence, quand le Musée arbore toujours un nom assez hostile et héberge des collections d’armes et de trophées de chasse. Ce sont certainement les raisons pour lesquelles certains l’évitent encore. On ne peut leur en vouloir, comme on ne saurait nier les efforts du Musée pour améliorer son image.
S’appuyant sur des collections exceptionnelles d’art ancien, moderne et contemporain, réunies par les fondateurs et sans cesse enrichies depuis près d’un demi-siècle, et bénéficiant de travaux de rénovation et d’extension (2007 et 2021), le Musée aborde de nouvelles thématiques telles que le rapport de l’homme à l’animal de l’Antiquité à nos jours, ou celui de l’homme et du vivant. Il privilégie l’approche artistique et émotionnelle, et accueille davantage d’œuvres contemporaines.

De l’association judicieuse d’œuvres d’art, d’animaux naturalisés, de propos scientifiques et pédagogiques, résulte une muséographie originale, entre le laboratoire et la galerie d’art. Le visiteur parcourt avec émerveillement une maison de collectionneur : les salons richement décorés de peintures, dessins, sculptures, tapisseries, meubles, céramiques, installations, photographies, vidéos ; les cabinets de curiosités thématiques, étranges et amusants ; les vestibules, couloirs et escaliers parés d’ouvrages de ferronnerie impressionnants.
Conçu comme un observatoire du monde sauvage, le Musée permet d’apprécier – en plein Paris – l’animal dans son environnement. Les expositions temporaires donnent un éclairage particulier et complémentaire sur les collections permanentes.
Eva Jospin : un anniversaire et une carte blanche
Il y a dix ans, le Musée faisait l’acquisition de La Forêt d’Eva Jospin. L’artiste plasticienne française, diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2002, pensionnaire à la Villa Médicis à Rome l’année suivante, se distingue par ses paysages, forêts et monuments qu’elle sculpte finement et patiemment dans le carton, son matériau de prédilection. Certains la surnomment « l’orfèvre des forêts ». Placé dans une salle de la collection permanente, le carton brut de La Forêt est découpé et ciselé en troncs fins, branches et brindilles, superposés si étroitement qu’ils paraissent former un corps végétal dense et impénétrable. À l’image de la façade du Musée, La Forêt d’Eva Jospin cache bien des secrets. Mais si le regard persiste, l’imagination prend le relais et se fraie un chemin entre les bois. La forêt devient le théâtre d’histoires, contes de fée ou cauchemars, au gré de l’intériorité de chacun.

En 2021, le Musée donne carte blanche à Eva Jospin. L’artiste investit certaines salles du Musée avec des œuvres récentes, dont un magnifique cénotaphe, auxquelles s’ajoute une création : Galleria. Cette dernière est une expérience esthétique et immersive qui représente un long et monumental passage voûté où architecture et nature semblent indissociables. Dans l’esprit de La Forêt, la nature recouvre la façade extérieure de la galerie. Le visiteur est invité à la traverser pour découvrir qu’elle abrite une sorte de studiolo inspiré de la Renaissance, ces cabinets de savants et d’érudits chargés d’objets et de naturalia, représentations miniatures de la nature, fragiles et précieuses à la fois.

Le carton se métamorphose merveilleusement en végétation ou en pierre entre les doigts de l’artiste. Le mur immense qui fait face à la voûte semble être directement taillé dans la roche d’une falaise. La finesse du travail et le rendu à l’identique, comme un fac-similé, transforment le matériau brut en matière noble. Le carton devient marbre ou futaie, rocher ou colonnade, bois sec ou feuillage délicat. Des ouvrages de dentelle, d’orfèvrerie et de marqueterie s’ajoutent à l’assemblage monumental comme des pierres précieuses sur une monture. Et comme l’inspiration de l’artiste est multiple, remontant à l’Antiquité, mais aussi à la Renaissance italienne ou au siècle baroque, chacun est libre de convoquer ses propres références artistiques, se projeter dans le courant et le siècle de son choix, car les fabriques d’Eva Jospin sont avant tout une invitation à l’interprétation personnelle, à l’échappée mentale et au rêve. C’est bien là le tour de force de l’artiste : son hommage aux Anciens ne rend pas moins son travail atemporel, voire puissamment contemporain. Il perpétue certains gestes architecturaux et laisse entendre que ces derniers continuent d’émouvoir.

Les thématiques chères à l’artiste : inspirations artistiques variées, éléments végétaux et minéraux, nature et architecture, jardins baroques et grottes féériques, le temps qui passe et la fragilité du vivant, résonnent avec l’univers et les enjeux du Musée qui accueille ses œuvres. L’imbrication de la Galleria et son studiolo dans cette maison d’art aux mille curiosités est plus qu’une exposition : c’est un monde en soi que le visiteur est invité à contempler, mais aussi une subtile mise en perspective du dialogue incessant entre l’homme et son environnement.