« Planetarium », les cartographies lumineuses d’Iván Navarro
Un samedi après-midi ensoleillé de mars dans le Marais parisien fait l’effet d’une fourmilière dans laquelle on vient d’envoyer un coup de pied électrique. La foule attirée par la lumière printanière se précipite dehors ; les yeux aveuglés par le soleil qu’ils ne maîtrisent pas encore, les piétons buttent les uns contre les autres dans les rues étroites ; les jambes enivrées de se dégourdir après des mois de sédentarité, de confinement et de couvre-feu ne contrôlent plus les mouvements ; les queues se forment et se déforment devant les magasins vintage et branchés du quartier ; les deux-roues pressés slaloment entre les passants excités ; il y a intérêt à lever le nez de son smartphone pour éviter la collision.
Si comme moi, en manque d’expérience artistique live, tu es venu(e) chercher la nonchalance d’une promenade arty dans une ou deux galeries en vue pour t’évader de ton quotidien ou te perfuser de créativité, il faudra t’armer de patience ou réserver ta visite en amont : on s’agglutine aussi devant certaines galeries qui affichent rapidement complet…

Heureusement, des lieux plus calmes proposent un temps de répit pour s’éloigner de l’agitation ambiante. C’est le cas de la galerie Templon, rue Beaubourg, qui se transforme en caverne fraîche et obscure pour accueillir les œuvres lumineuses d’Iván Navarro. Avec Planetarium, l’artiste chilien embarque le visiteur dans une balade poétique sur la piste des étoiles. Constellations, galaxies, nébuleuses : accrochés aux murs, des panneaux de verre colorés et illuminés s’ouvrent telles des fenêtres vers l’infini de l’espace.
À la fois sublimes et troublantes, ces cartographies imaginaires interrogent les limites de l’astronomie, les représentations mentales que l’homme se fait de l’univers, les failles de l’anthropocentrisme. Pour Iván Navarro, « observer les étoiles, c’est toucher du bout des doigts les plus grands secrets de l’univers » ; c’est aborder des questions métaphysiques vertigineuses : quelle est l’origine de l’humanité et de nos civilisations ? Comment penser la place de l’être humain dans un univers dont les limites sont encore indéfinissables ? Face à ces questions sans réponses, Planetarium nous renvoie à notre propre ignorance et notre vulnérabilité, pour mieux nous inviter à la contemplation et au respect devant l’infiniment grand.
Né en 1972 à Santiago du Chili, Iván Navarro a grandi sous le régime de Pinochet avant d’émigrer en 1997 aux États-Unis. Fasciné par les codes du minimalisme, de l’architecture et du design américains, il construit des sculptures électriques où la lumière est le medium fondamental. Hanté par son expérience de la dictature, son travail combine avec subtilité références artistiques et engagement politique. Derrière l’apparence esthétique et ludique de ses installations lumineuses, pèse en filigrane la menace de la lumière symbole du pouvoir politique, outil de propagande, source d’inégalités, instrument de torture.
Dans Planetarium, l’artiste explore un medium inédit : la peinture. À l’intérieur des miroirs sans tain que constituent les panneaux exposés, il a gravé puis peint des milliers de touches de couleurs vives qui métamorphosent la lumière des LED en explosions ou phénomènes célestes. Cathartique, cette pratique interroge le couple moderne homme-machine. À l’objet, au miroir d’apparence industrielle, il oppose la main, l’arbitraire du geste et la fragilité de l’être.

Planetarium d’Iván Navarro, galerie Templon, jusqu’au 20 mars 2021.
À quelques rues de là, on peut trouver l’exposition de Zhang Wei à la galerie Max Heitzler. Intime et silencieux, l’espace permet aussi une agréable parenthèse. Zhang Wei, l’une des figures de proue de la peinture abstraite chinoise, y présente une dizaine de peintures récentes.
Ses toiles, la plupart, monumentales, réalisées avec des couleurs composées de coups de pinceaux aux couleurs vives et contrastées, suscitent une grande émotion. L’énergie qui s’en dégage contraste avec de grands aplats laissés blancs. La notion d’inachevé, mais aussi la respiration créée par ces vides, équilibre la circulation du regard et invite à l’apaisement. Certaines toiles présentent des couleurs plus douces.

Ces nuances rappellent l’importance de la spiritualité du « qi » dans le travail de l’artiste : la peinture est comme un processus de libération d’énergie au moment précis où l’encre touche le papier par l’intermédiaire du pinceau. Tout comme le trait calligraphique, partout présent dans son œuvre, qui souligne un mouvement ou accentue un vide. La combinaison de techniques aussi traditionnelles que modernes illustre la vision de l’artiste : s’approcher le plus possible de l’idée de liberté en art.
Zhang Wei, galerie Max Heitzler, jusqu’au 13 mars 2021.