Le fabuleux destin d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun
« Je n’ai eu de Bonheur qu’en peinture », c’est sur ces mots d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun que commence l’exposition qui lui est dédiée au Grand Palais. Le parcours captivant d’une femme peintre talentueuse qui sut s’imposer et vivre par ses propres moyens au XVIIIe siècle, rendant son œuvre admirable d’autant plus attachante.
Élisabeth Louise Vigée Le Brun
Exposition monographique
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Au Grand Palais, Paris
Du 23 septembre 2015 au 11 janvier 2016
Je dois bien avouer ici que je n’ai jamais été jusqu’à présent une passionnée de l’art du portrait du XVIIIe siècle. De mes expériences et visites passées, je garde plutôt un souvenir d’ennui – si ce n’est aucun souvenir, des galeries interminables peuplées de personnages célébrant la gloire de la monarchie de l’époque. Mais soudain, le fait que le peintre soit une femme a éveillé en moi la plus profonde des curiosités, la plus insatiable soif de connaissance, la plus douce patience de visiteuse, me transformant en fervente admiratrice de la série de tableaux tous plus raffinés les uns que les autres, en avide lectrice de l’Histoire d’une noblesse éclairée par le regard et le pinceau au féminin, en spectatrice éprise et transportée par le fabuleux destin de Madame Vigée Le Brun.

Autoportrait au chapeau de paille, par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (après 1782)
Extraits du livret d’exposition :
De toutes les femmes artistes qui s’illustrèrent dans la France du XVIIIe siècle, seule Elisabeth Louise Vigée Le Brun est aujourd’hui encore peu connue du grand public. Non seulement, on associe son nom aux portraits de Marie-Antoinette, et peut-être aussi au célèbre tableau du Louvre figurant La Tendresse maternelle, mais l’artiste est également restée dans les esprits comme une femme d’une grande beauté, dont l’art élégant sut s’adapter à une vie particulièrement mouvementée relatée dans ses Souvenirs publiés à la fin de sa vie*. Née en 1755, décédée en 1842, Vigée Le Brun a connu les fastes de la vie de l’Ancien Régime, les heures sombres de la révolution, l’essor d’une société nouvelle sous l’Empire et le développement de nouveaux codes artistiques. Placée entre deux époques, elle incarne le portrait français dont elle sut diffuser les beautés tout au long de ses voyages européens. Mais, paradoxalement, son pays natal ne l’a jamais honorée d’une exposition monographique. Seuls les États-Unis lui avaient dédié en 1982 l’hommage qu’elle méritait. L’exposition organisée au Grand Palais lui rend enfin justice. Bien évidemment, elle présente la portraitiste qui sut saisir la ressemblance tout en l’idéalisant. Sous son pinceau, toute une société revit, solennelle, heureuse, sensuelle ou innocente, attentive aux raffinements de la mode et à sa position sociale. Consciente de son talent, l’artiste chercha aussi à s’imposer dans un milieu éminemment masculin où les femmes avaient beaucoup de difficultés à être reconnues. En 1783, lorsqu’elle fut reçue à l’Académie avec le soutien affiché de la Reine, elle entendait démontrer que la peinture d’histoire, le genre le plus noble, ne lui était pas interdite et qu’elle pouvait se mesurer aux hommes. Avec les années, elle sut aussi donner une vision très personnelle du paysage. Aujourd’hui réunis, peintures, pastels et dessins, permettent de redécouvrir son art dans toute sa variété, raffiné et palpitant de vie.
*Souvenirs que j’aimerais beaucoup lire d’ailleurs !

Le peintre Hubert Robert, par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1788)
L’image de l’artiste.
Tout au long de sa carrière, Élisabeth Louise Vigée Le Brun s’est attachée à se représenter sur la toile et sur le papier. Soulignant sa beauté, ses ambitions et son ascension sociale et professionnelle, ses nombreux autoportraits sont pour la plupart autant d’œuvres qui ont ajouté à sa renommée, de son vivant comme après sa disparition.
La figure du père.
Élisabeth Louise Vigée Le Brun est née dans une famille liée à la communauté artistique parisienne. Son père, Louis, auquel elle était très attachée, était un pastelliste de renom admis à l’Académie de Saint-Luc. Disparu alors que Louise n’avait que douze ans, il avait eu le temps de reconnaître ses dons artistiques et de lui enseigner le maniement des instruments de l’art, et surtout les secrets de la peinture au pastel, sa propre spécialité. De manière prophétique, Louis Vigée aurait dit à sa fille : « Tu seras peintre mon enfant, ou jamais il n’en sera ».

Autoportrait, par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1790)
Les années de formation.
Elle continue sa formation dans les ateliers de Blaise Bocquet, Pierre Davesne et Gabriel Briard, reçoit les conseils de Joseph Vernet et Gabriel François Doyen, étudie les œuvres des maîtres anciens et contemporains – notamment celles de Jean Baptiste Greuze, dans les collections royales et privées, et chez son époux, le marchand de tableaux Jean Baptiste Pierre Le Brun qu’elle épouse en 1776.
La consécration.
Membre de l’Académie de Saint-Luc, corporation des maîtres peintres et sculpteurs à partir de 1774, l’artiste devient quatre ans plus tard le peintre officiel de la reine Marie Antoinette, sa protectrice. Afin d’élargir le champ de son activité artistique, elle exécute de rares scènes de genre et quelques tableaux à sujets mythologiques et allégoriques appartenant à la peinture d’histoire. En 1783, grâce à l’intervention de la souveraine, Mademoiselle Vigée, épouse Le Brun, est reçue à l’Académie royale de peinture et de sculpture, avec pour morceau de réception un tableau à sujet allégorique, La Paix ramenant l’Abondance.

La Paix et L’Abondance par Élisabeth Louise Vigée Le Brun
Émulation et concurrence féminine.
Toutes deux portraitistes, toutes deux reçues à l’Académie royale en 1793, Élisabeth Louise Vigée Le Brun et Adelaïde Labille-Guiard furent mises en concurrence par la critique et par le public dès lors qu’elles exposèrent leurs œuvres. Avec les années, les deux rivales s’acheminèrent vers la perfection. En outre, toutes deux formèrent à l’art de la peinture et du dessin de nombreuses élèves, aidant à promouvoir la peinture au féminin et permettant ainsi à d’autres jeunes femmes de faire carrière.
Portraiturer la famille royale et la cour.
Après avoir livré en 1778, à la satisfaction générale, le premier grand portrait officiel de Marie Antoinette, Madame Vigée Le Brun fut régulièrement sollicitée pour fixer les traits de la reine. Elle s’inscrivit alors parfaitement dans la tradition courtisane qui, sans cesser d’être fidèle, c’est-à-dire sans perdre la ressemblance, embellissait imperceptiblement certains modèles. Aussi son succès fut complet.

Portrait de Marie Antoinette dit « à la Rose » par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1783)
L’élégance à la française.
La manière dont la peintre savait transcrire les carnations, les étoffes et les autres matières, les contrastes insolites de couleurs et ses effets subtils d’ombre et de lumière assurèrent son succès auprès de la clientèle royale et de l’élite. L’artiste laisse ainsi une galerie de portraits qui illustre à merveille les variations de la mode à l’époque des années 1780. Les femmes dégagent souvent sous son pinceau une grande sensualité.
Peindre l’enfance et l’amour maternel.
L’art de Vigée Le Brun suivit l’évolution de la société française, laquelle, sensible aux idées de Jean-Jacques Rousseau, développées dans l’Émile, accorda une place marquée aux liens unissant une mère et ses enfants. Chantre de cet amour maternel dont elle laissa deux véritables « icônes » la mettant en scène avec sa fille Julie, ses tableaux prenaient souvent pour modèle les compositions de Raphaël et emportèrent l’adhésion.

Autoportrait de l’artiste avec sa fille Julie, dit « La Tendresse maternelle », Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1786)
L’émigration (1789-1802).
Dépendant professionnellement et socialement de la clientèle de la famille royale, de la cour et de l’aristocratie, Vigée Le Brun est l’objet de virulentes attaques diffamatoires. Dans la nuit du 6 octobre 1789, elle quitte Paris avec sa fille et sa gouvernante pour se diriger vers la péninsule italienne. Commence alors un voyage d’exil qui dure plus de douze années. Éloignée de son mari, l’artiste use de son renom et de son charme pour servir une clientèle européenne fascinée par le modèle français. Son talent est officiellement reconnu par les académies artistiques en Italie (1789-1792), à Vienne (1792-1795) et à Saint Pétersbourg (1795-1801), ce qui lui permet de maintenir, grâce aux prix demandés pour ses œuvres, un train de vie digne de sa réputation. Elle continue aussi à développer ses cercles de sociabilité.
De retour à Paris.
Très vite, elle retrouve certains de ceux qui avaient constitué son cercle de proches avant 1789 et place son pinceau au service de la société du Consulat et de l’Empire, ne cessant pas pour autant de portraiturer l’aristocratie européenne, ni de voyager. L’artiste se livre également au genre du paysage en plein air et peint plus de deux cent pastels pour son plaisir, attestant de ce nouveau sentiment de la nature qui marquera bientôt les peintres des générations romantiques et réalistes.

Caroline Murat, sœur de Napoléon 1er et reine de Naples, avec sa fille, par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1807)